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Photographe à la Une. Raymond Depardon

En 1980, un journal britannique a envoyé Raymond Depardon dans la ville de Glasgow, alors que ce dernier n’y avait jamais mis les pieds et ne parlait pas un traître mot d’anglais. Il en a résulté une série photo poétique qui capture le quotidien de l’un des quartiers les plus défavorisés de la Grande-Bretagne de Thatcher.

Ses images montrent notamment des enfants en train de jouer au ballon entre des maisons condamnées, des familles qui se promènent dans des allées bétonnées et des couples de personnes âgées qui attendent le bus près de tours brûlées.

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Ce travail est une commande que j’ai réalisée en 1980 à la demande du « Sunday Times Magazine », à Londres, qui avait vu mon reportage sur Beyrouth pour « ‘Stern ». Je venais de quitter l’agence Gamma pour rentrer chez Magnum. Je venais également de passer un mois en Afghanistan, avec Massoud pour guide.

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Je suis allé deux fois en Ecosse, au printemps et en automne. Quand je suis arrivé à Glasgow, j’ai tout photographié, c’était très différent, côté lumière, je venais d’une longue série du désert. Je n’ai pas arrêté de marcher, j’ai erré dans tous les quartiers que je ne connaissais pas. Très vite, les premières personnes qui m’ont accueilli, c’étaient les enfants. Je ne comprenais rien, je ne parle pas bien anglais, ils m’ont pris par la main et m’ont emmené dans leurs repères. 

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Je suis un autodidacte. En voyant ce garçon, j’ai pensé à Dickens, que j’ai lu dans mes voyages en avion. Mais aussi à « Pas de printemps pour Marnie » d’Hitchcock. Glasgow, comme Saint-Nazaire, est marqué par le traumatisme industriel, la pauvreté, le chômage. Mais ce qui me fascinait par-dessus tout, c’était la facilité de faire des photos, rien à voir avec l’Orient. Pour bien retranscrire cette ambiance, en particulier cette lumière, j’avais pris un film Kodak extrêmement lent d’une qualité incroyable.

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Ce qui était incroyable et paradoxal à la fois, c’était l’état de ruine de la ville, mais en même temps, la vie continuait. Comme après une explosion atomique, les gens sortaient des caves. Ici, on revient un peu à l’essentiel de la photo, très peu de couleurs, seulement quelques taches. Dès que je voyais des gens « normaux », je me précipitais sur eux. A la différence de la photographie humaniste, comme Doisneau, je n’avais jamais photographié le monde ouvrier. Je n’avais jamais eu cette chance-là.

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Il est arrivé ce qui devait arriver, je m’en suis pris une. Ça fait partie du risque. C’était un samedi, il y avait une belle lumière, une lumière rasante qui dure des heures. Ce jour-là, ils sont tous au pub. J’ai fait une photo, puis une seconde. Il s’est retourné et, il m’a donné un coup de poing dans la figure, je n’ai rien dit, je suis parti en courant. Je m’y étais un peu préparé. Mais ce n’est rien, à côté d’un Palestinien dans un camp de réfugiés.

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J’ai toujours été très admiratif des photographes anglais. Je me suis retrouvé sur leur terres et c’est peut-être cela qui m’a influencé dans ce reportage. Quand je regarde cette photo aujourd’hui, je suis surpris. C’est sûrement un cadre, il est bien habillé mais il semble tituber. Ce qui est troublant, c’est le regard évanescent de cette femme. Chacun reste à sa place, personne ne bouge. Cette scène ne pourrait pas être prise dans les quartiers Nord de Marseille. Je suis très fier de cette photo.

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À l’époque, je ne connaissais pas grandchose du gouvernement de Thatcher et de la politique britannique. Mais maintenant, je vois à quel point ces images témoignent de la violence de cette ère – je pense particulièrement à la fermeture des zones industrielles et au chômage de masse. Comme je n’avais pas respecté les règles de ma commande, ces photos n’ont jamais été publiées auparavant.

Je suis content que les Anglais puissent les voir aujourd’hui.

© Raymond Depardon Magnum

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