Photographe à la Une. Andreas Gursky
Ancien élève de Bernd Becher à Düsseldorf, dont il adopte le regard distancié et objectif, Andreas Gursky apparaît sur la scène artistique dans les années 1980.
Andreas Gursky, qui est historiquement affilié à la photographie objective allemande et l’Ecole de Düsseldorf, est formellement assez proche de ce courant mais sur le fond il se rapproche davantage d’une certaine forme de romantisme en particulier s’agissant du sentiment du sublime. En effet, chez le photographe allemand tout est gigantesque, écrasant, aussi bien les formats des tirages photographiques, que le niveau de détail et les sujets qui se rapportent majoritairement aux multitudes humaines.
Ces images aux plans simples, généralement frontaux, sont souvent retravaillées de façon numérique : à partir de négatifs classiques de plusieurs prises de vues, qu’il scanne et assemble à l’aide d’un logiciel de traitement d’image, Andreas Gursky réalise un nouveau négatif qu’il développe sur du papier traditionnel en rouleau. Ce procédé lui permet d’augmenter, pour des photographies qui vont jusqu’à 2 x 5 m, l’effet de gigantisme saisissant qui s’en dégage. Les sites qu’il donne ainsi à voir sont des environnements transformés à partir du réel, des images conceptuelles davantage que des portraits réalistes.
Gursky n’est évidemment pas un romantique sur le fond, il n’y a, pour ainsi dire, aucune empathie, ni sentiment de communion avec la Nature ou une forme profane du sacré, encore moins de mélancolie ou d’exaltation de l’individualité subjective, tout au contraire. Le sentiment du sublime était, si on peut se permettre ce raccourci, une forme de transcendance face à l’infini. Une élévation des sentiments et de la pensée dans la prise de conscience de notre finitude face aux éléments ou à l’expression de la divinité dans les forces démesurées de la Nature.
Andreas Gursky une sociologie de la finitude. Or ce que nous montre le plasticien allemand, dans ses images en quelque sorte monstrueuses, c’est précisément la finitude, mais dans un sens très moderne, voire sociologique. Nous ne sommes, de son point de vue d’ethnologue, que d’infimes particules d’une espèce endémique, fréquemment entropique tout du moins à l’égard de son environnement et des individus composant le tout normatif.
Das Rhein… La fameuse photographie du Rhin est révélatrice de la démarche, très construite, du photographe de Düsseldorf. Cette image est celle d’une photographie impossible. En effet, un certain nombre de détails ont été effacés (entre autres une usine qui était sur l’autre rive), d’autres accentués (le moutonnement des flots et de la pelouse). C’est, en quelque sorte, une image de la Nature, mais la géométrie parfaite de la prise de vue et la composition à la Rothko transforme cette représentation en un tableau abstrait qui évoque l’empreinte de l’homme sur son environnement tout en congédiant sa présence, y compris dans ses créations. Pourtant tout évoque l’artificiel, le Rhin lui-même fleuve de légende et porteur de toute une culture romantique devient un flux géométrique et totalement domestiqué ne suscitant aucun sentiment prémoderne de Beauté ou de transcendance. Cette image proche de Gerhard Richter est brutale dans sa représentation de la puissance physique du Rhin mais aussi dans la mise en évidence de sa totale soumission à l’industrie de l’Homme. Le sublime est « physiquement » là mais évidé de sa dimension métaphysique, il ne demeure que la violence de la modernité ou postmodernité.
Illustrer le réel. Andreas Gursky se situe assez paradoxalement au carrefour du romantisme par les dimensions, la modernité pour le désenchantement et le postmodernisme pour l’usage de la photographie comme vecteur sémiologique, cependant sa démarche reste toujours ancrée dans le réel et le sociologique, mais pas celui de la reproduction qui est presque toujours détachée de son objet immédiat. De manière plus conséquente Andreas Gursky choisit de rendre compte, de documenter, par un discours visuel très élaboré et savant à la limite de l’étourdissement baroque.
Pour conclure. Peu d’artistes ont su imposer un style aussi net que Gursky : des photographies grandioses, des formes qui se répliquent à l’infini, des grands espaces et de grandes constructions où l’homme apparaît minuscule à côté. Devant de tels spectacles, on se demande si ces images sont truquées ou non : parfois oui, mais bien souvent non. De quoi laisser planer le doute entre réalité et fiction. C’est probablement un des enjeux de sa démarche.
Pour en découvrir plus sur son univers, le site web du photographe plasticien