Portez plus d’attention à l’intention !
Sans aucun doute… Aucun suspens… Une évidence sur la nécessité absolue de réfléchir (consciemment ou inconsciemment) lors de la construction de la photo, sur le message, l’émotion que doit véhiculer l’image.
Une image se compose à 20% de techniques (c’est la partie production du message) et 80% de la vision du photographe (c’est la partie pensée du message). La technique, pas de problème, cela s’apprend, surtout à l’air du numérique où le clic ne coûte rien. Pour la réception et l’interprétation, nous n’avons pas, directement, la main sur ces paramètres, puisqu’ils dépendent grandement du spectateur de l’image (de sa culture, son humeur du moment, de son appétence pour le sujet photographié…). Toutefois, force est de constater que l’interprétation de l’image peut être accompagnée par un message préparé, clair et argumenté.
Je tiens en premier lieu à éliminer l’idée que nous avons tous,entretenue par les fabricants d’appareils photo, que le dernier Olympus, Canon ou Nikon nous permettrait de faire de meilleures photos. Pensez aux maîtres de la photographie qui avaient des appareils photo qui n’arrivaient pas à la cheville de vos appareils modernes ou même de vos téléphones portables.
Une bonne photo, si tant est que l’on puisse définir ce qu’est une belle photo, ne peut naître que du travail (conscient ou inconscient). Si vous vous promenez nez au vent et shootez tout ce qui passe devant votre objectif, vous pouvez être certains que, sauf coup de chance, vous rentrerez bredouille chez vous.
Vous devez garder en tête que la photographie, c’est avant tout une combinaison magique d’une lumière qui éclaire une scène où il se passe quelque chose qui crée une émotion.
Mais comment faire alors ? Il faut construire la photo que vous avez en tête et en cœur avant d’appuyer sur le déclencheur. Et pour cela, il faut suivre un certain processus intellectuel.
Exemple : vous êtes Diane Arbus (quelle chance), en 1962, vous vous trouvez dans Central Park et vous souhaitez photographier des enfants (dont le petit Colin, fils du joueur de tennis Sidney Wood)

Copyright Diane Arbus
La première étape sert à l’identification du sujet : un enfant en particulier (Colin), une action, un groupe d’enfants, les adultes qui les accompagnent. Il est essentiel à ce stade d’aller au-delà de l’identification, mais bien de le comprendre : pourquoi est-ce un sujet, que représente-t-il, quels sont ses différents aspects, quel est mon rapport au sujet, qu’est-ce qu’il évoque pour moi ….
La deuxième étape consiste à verbaliser ce que vous voulez montrer. Attention à ne pas se contenter de se dire, « je veux faire une photo d’enfants» mais de vraiment identifier ce que je veux capter : la joie, la jeunesse, le mouvement, le jeu, le rire, la colère…
C’est le moment de se poser la question de l’émotion que vous voulez transmettre, donc en premier lieu de ce qui vous touche est ce qui fait que vous êtes un photographe unique.
Voilà ce que vous auriez pu penser « je veux montrer l’innocence d’un petit Newyorkais, un peu turbulent (genoux écorchés, bretelles de la salopette tombée sans doute lors d’un jeu un peu agité), loin des tumultes de la guerre du Vietnam mais pourtant vivant dans une société marquée par ce qui se passe là-bas, si loin.
La troisième étape est celle des choix : qu’est-ce que vous gardez ou éliminez, quels sont les éléments forts et les faibles et qu’est-ce que vous en faites : Une fausse grenade dans la main, au loin, une poussette et une maman tenant son enfant par la main…
La quatrième étape permet de devancer la lecture par le spectateur : comment diriger l’œil du spectateur dans l’image en cherchant des lignes de fuite, en jouant sur la profondeur de champ. L’enfant est à l’ombre, derrière une allée baignée de lumière qui mène vers les autres adultes et enfants.
La cinquième étape est sans doute la plus évidente et pourtant la plus négligée : l’analyse de la lumière, sa qualité (dure, douce), sa direction (contre-jours, de face, de côté, rasante…). Pour être plus précis la question de la lumière est transverse à tous les points précédents. Elle se pose à chacune des étapes (et oui, on peut dire à son modèle de se déplacer, on peut se déplacer soi-même, mais jamais le soleil ne descendra dans le ciel pour vous arranger). Ce point peut donc plus être considéré comme un check final qu’une vraie étape.
La lumière sur l’enfant est parfaite, il est à l’ombre, et le soleil donne une lumière dure arrivant de la droite de l’image et créant un contraste mettant le petit modèle du jour en avant (et oui, pour mettre un sujet en avant, il n’y a pas que la profondeur de champ, il y a aussi le contraste entre les plans de l’image).
La sixième étape est celle de la réalisation technique de la photo : les choix précédents ont donc dicté vos choix de vitesse (si l’enfant court), la profondeur de champ (si je veux isoler l’enfant), il ne reste qu’à régler les Iso pour s’adapter aux conditions de lumière.
Maintenant que vous avez pris en compte tous les éléments disponibles dans Central Park, il ne vous reste plus qu’à choisir une ouverture (assez grande pour avoir un joli fond d’arrière-plan), une vitesse (c’est un portrait, donc inutile de mettre une vitesse rapide.

Copyright Diane Arbus
Les Dimensions de l’intention photographique. J’en vois au moins 5 :
- l’espace : hauteur, longueur, largeur, lieu
- le contexte : météo, odeurs, bruits, moment, …
- le sujet : ce que le photographe tente de « capter »
- l’émotion : ce que le photographe ressent en étant plongé dans les trois précédentes et son propre état émotionnel général (l’influence de son propre vécu, de sa propre histoire)
- le rendu : la manière dont le photographe va présenter l’image, tenant compte des 4 dimensions précédentes
Avec ces dimensions en tête, l’intention photographique pourrait se traduire chez moi par une démarche qui se résume comme suit :
- Comprendre le sujet
- Aller vers le sujet
- Ressentir le sujet
- Restituer le ressenti
Pour conclure, je suis conscient que le processus décrit ci-dessus est perfectible, comme beaucoup de débutants, nous avons envie de prendre des photos, d’avoir du plaisir et pas de se prendre la tête et pourtant, je vous assure que ce processus devient assez vite instinctif et pour peu de se contraindre un peu, les résultats sont assez vite payants. Je vous assure que vous découvrirez vite que vous avez une marge de progression visible.