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A l’école de la photographie de rue

La rue offre une palette infinie pour la photographie. Elle porte le mouvement que le déclencheur arrête, la beauté du banal, la magie des petits riens ou les hasards incongrus. Bien qu’elle ait quelques héritiers, « la street photography » entre progressivement dans le champ du passé. 

La photographie de rue était une école. Voire un rite de passage. On ne peut que le constater dans l’oeuvre phénoménale de Vivian Maier – un travail miraculeusement sauvé de la benne -, que le musée du Luxembourg expose à Paris jusqu’en janvier 2022. Née en 1926 d’une mère française, la « nanny », artiste autodidacte non proclamée de son vivant, a affûté son objectif au contact de l’asphalte des métropoles américaines des années 1950.. Elle y apprend à apprivoiser les reflets dans les vitrines, les lignes de force architecturales, les jeux de lumière et la théâtralité des personnages comme acteurs de la profusion urbaine.

Copyright Vivian Maier

Comparée à un ballet, un jeu ou bien une chasse, la photographie de rue s’apparente aussi à un sport. « C’est comme sur un terrain. On a un ensemble de gens qui bougent tout autour de nous, on doit anticiper leurs mouvements pour saisir le moment où ils vont entrer dans notre champ de vision, cet ‘instant décisif’ qu’a défini Henri Cartier-Bresson. » Un exercice physique où l’hyper-concentration s’ajoute aux kilomètres parcourus sur la piste des images.

Très lié à l’essor de la presse, l’âge d’or de la photo de rue s’est étalé des années 1950 jusqu’à l’orée des années 1990. Les pages des journaux et des magazines, d’abord en noir et blanc puis en couleur, se couvrent du monde et de ses spectaculaires bouleversements sociaux. Elle va décliner avec la crise des médias papier. Les photographes vont, eux, investir davantage le champ de l’art avec des travaux plus sériels ou conceptuels.

À l’origine, la photo de rue n’émerge pas comme un genre. C’est un mouvement, une poussée presque, qui s’élance dans les années 1930 grâce aux progrès techniques, avec les boîtiers portables et la pellicule 35 mm. Il s’inscrit, à la suite de la crise de 1929 aux Etats-Unis, dans une volonté de témoignage social. « Sa vocation première est que la photo peut changer les choses.  Ce qui n’est plus le cas dans les années 1960, où l’on passe à une expression spontanée. Vivian Maier est bien dans cette pratique amateur et égotiste. La condition humaine ne peut toutefois que jaillir de la scène urbaine. La photographie de rue devient immédiatement un document.

Tous les photographes la pratiquent, ne serait-ce que ponctuellement. Avec pour grandes locomotives culturelles les Etats-Unis et la France, même si leur esthétique diffère. Les humanistes européens, nourris de surréalisme comme Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau ou Sabine Weiss, sont des « pêcheurs d’images qui attrapent la poésie en suspens. Les Américains comme Diane Arbus, William Klein ou Garry Winogrand vont, eux, au corps à corps, saisir l’énergie, l’étrangeté, la pulsation.

Copyright Sabine Weiss
Copyright Diane Arbus

New York est à partir des années 1950 une ville en proie à un développement aussi prodigieux que désordonné. Mais on le voit, elle s’offre aux objectifs et Paris n’était pas davantage cachottière. Ce temps est révolu. Le droit à l’image est désormais brandi devant le moindre appareil photo levé dans l’espace public. Un casse-tête pour les photographes. Et c’est en France, dans la patrie de Nicéphore Niépce, l’inventeur de la photographie, que c’est le plus problématique et parfois risqué.

lors la « street photography » mute et compte peu d’héritiers. Un bon exemple de cette mutation photographique, l’Irlandais Eamonn Doyle qui shoote son quartier à Dublin, comme microcosme du vaste monde en regardant les gens d’une manière beaucoup plus abstraite et graphique. 

Copyright Eamonn Doyle

En conclusion. La ‘street photography’ appartient au passé par les difficultés à l’exercer désormais sans danger. Elle s’est réinventée face à la pression. L’humain n’y apparaît plus que par ses marques sur le paysage, la trace de ce qu’il provoque sur l’environnement. Une rue dont les passants auraient disparu. Cela n’est pas sans rappeler les origines du médium. Lorsque Louis Daguerre fixe le boulevard du Temple à Paris en 1838 sur une plaque photographique, un seul humain apparaît. Le long temps de pose n’a pas permis de capturer la foule en mouvement qui se pressait autour de lui en réalité. La première photo de rue est quasiment sans âme qui vive. La boucle serait-elle bouclée ?


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Un commentaire »

  1. Triste réalité de ce monde qui se prostitue sur les réseaux sociaux mais pique une crise si un photographe pointe le bout de son objectif dans la rue pour humer l’humeur du temps qui passe. Comble de l’ironie, c’est effectivement le pays qui a vu naître et à donné au monde la possibilité de photographier qui met le plus de bâtons dans les pieds. Tout ça parce que d’aucuns s’imaginent que toutes les photos se vendent à prix d’or, que leur image va être exploitée et qu’ils n’en tireront aucun bénéficie. Car, franchement, ils n’en ont rien à faire qu’ils soient captés à tel endroit, à tel moment, fussent ils dans un endroit interdit, un moment intime, une position incongrue : ils viennent de la livrer eux-mêmes sur Instagram ou Facebook, Tick-tock et consorts et ils trouvent ça « fun », comme faisant partie de la nécessité du monde. Sans parler de cette manie de l’autoportrait à tort et à travers, au delà de toutes convenances et du respect le plus élémentaire d’un lieu, de la personne qu’ils agressent et les rend « célèbres » le temps d’un clic, d’un like. Faut-il changer sa manière de photographier pour ces tristes sires ? Se cacher derrière un Smartphone (parce que ça ça semble permis) pour faire des photos ? Je ne sais pas, mais je refuse de me laisser dicter une conduite par quelques mal embouchés. Je veux, à ma modeste mesure, continuer à documenter un monde qui change, vite, très vite, et dont il ne restera pas grand chose à se souvenir si des irréductibles ne décident de les figer dans les sels d’argent (pour les puristes) ou sur la Grande Toile, ou -mieux – lors de l’une ou l’autre exposition. Si la France refuse de se voir vieillir, se renouveler, évoluer, tant pis pour elle, nous continueront à œuvrer ailleurs, tant qu’il nous reste un peu de liberté.

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